Thierry CHURIN - Le château d'Alençon vers 1440
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Coïncidences  troublantes
est-ce Caen ou Alençon ?


A gauche, ma reconstitution, réalisée sans connaître l'image de droite
A droite, une miniature découverte par hasard par Frédéric REYNEN. 
Elle est extraite des Chroniques de Froissart, illustrées par l'atelier du miniaturiste Loyset Liédet, à Bruges, vers 1460-1490.
Elle accompagne le récit du siège de Caen par l'armée anglaise, en 1346.
voir la page du manuscrit en entier

(Bibliothèque Nationale de France Richelieu Manuscrits Français 2643 Fol 157 v)

Les ressemblances sont troublantes, de droite à gauche :
    •  une barrière (sorte de porche) peu épaisse dont l'arc est surbaissé et surmonté de deux tourelles ;
    • la barrière précède des douves en eau (celles de Caen sont sèches) ;
    • sur ce fossé, un pont mène à une porte munie d'une herse, le reste du châtelet peut être masqué par la barrière qui occupe le premier plan ;
    • les fossés encerclent un château construit au ras de l'eau (celui de Caen est sur un promontoire !) ;
    • le côté gauche du château est défendu par quatre tours disposées dans le même ordre : 1) une tour couronnée, 2) une tour rectangulaire, 3) une tour ronde, 4) une dernière tour rectangulaire semblant former l'angle de l'ensemble.
    • en arrière plan et à gauche, le paysage est sensiblement le même qu'à Alençon (Il ne me semble pas qu'il puisse correspondre au château de Caen).
    • Sur la Tour Couronnée, la toiture effilée de la miniature est certainement plus véridique que mon cône trapu qui n'a rien de médiéval. J'ai seulement tracé la toiture actuelle dont la forme ne date que du XVIII è s.

 
 
Pour finir, la scène représentée au premier plan (détail ci-dessous) semble correspondre à une mésaventure survenue au jeune Duc d'Alençon vers 1420 : 
"Jean d'Alençon, à la tête des Français livra bataille à l'ennemi [les Anglais] entre Ivry et Verneuil. Tombé de son cheval, le Duc d'Alençon allait périr quand Loré, ses officiers et ses vassaux le couvrirent de leur corps. Loré reçut un coup d'épieu dans le fondement et un certain Blosset, déjà borgne, un autre sur la tête. Après la bataille, le Comte de Suffolk, en dégageant les morts découvrit le Duc d'Alençon qui fut fait prisonnier et conduit en prison au Crotoy..." (Ph. Leroux1981, p. 46).


Et pourtant :
    • Il n'y a aucun lien entre le texte du manuscrit et Alençon ;
    • Il est peu probable que l'artiste, qui travaillait en atelier en Belgique, se soit déplacé sur tous les lieux qu'il avait à représenter, lieux dispersés de l'Espagne à l'Angleterre, en passant par l'ouest et le nord de la France. 
    • L'Europe sortait tout juste de la guerre de Cent ans, un tel voyage pour un tel motif aurait été une vraie expédition. 
    • Si les ressemblances sont nombreuses, les différences le sont aussi : la première tour rectangulaire porte quatre tourelles d'angle alors que ma reconstitution n'en porte pas. Mais ceci ne constitue pas une preuve puisque j'ai tracé ma reconstitution sans disposer de gravure ancienne représentant le sommet. C'est alors peut-être mon dessin qui est faux. L'artiste a aussi pu  confondre ces tourelles avec celles du donjon qu'il n'a pas dessiné. 
    • Dans la ville, le miniaturiste a peint des petites maisons.

    • Il a couvert les tours de fenêtres disposées symétriquement... Mais ces fenêtres ne peuvent pas avoir existé, on verrait la trace de leur rebouchage sur la tour couronnée, bien conservée, et sur les gravures du siècle dernier.
       
    Dans l'ensemble, les différences entre mon image et la vignette  portent  sur des détails de petite taille, comme si le peintre avait reçu et recopié un croquis dont les grandes lignes et la perspective étaient sensiblement justes (mais sans les ponts de gauche ni le donjon). Sur cette ébauche, il aurait reporté des décors, des détails, un petit ourdis à droite de la tour à étage, des formes de fenêtres... que l'on  retrouve à l'identique sur la plupart de ses autres planches, quelles que soient les villes représentées (voir ci dessous).

    Seuls des spécialistes de chaque ville pourraient préciser si les autres miniatures du manuscrit représentent  les lieux respectifs dont il est question dans les récits de Froissart, ou si l'ensemble du travail de l'illustrateur est un roman à clefs. 
    Si l'artiste semble avoir voulu illustrer d'autres faits, l'a-t-il fait de son initiative ou est-ce pour répondre à une commande. De qui et pourquoi ? (jeu de cour, vengeance, récits autobiographiques...?).
    A remarquer qu'à chaque fois, les vignettes ont un rapport avec le texte : un siège de ville comporte bien une armée et une ville ; une bataille navale est signifiée par des bateaux... C'est sur les détails qui n'ont pas de lien avec le récit contigu et dans les  formes architecturales qu'il faut chercher.
     

Quelles conséquences pour notre connaissance du château 

 
Cette superbe miniature représente probablement Alençon, c'est alors la plus ancienne représentation du château. 
Comme toutes les grandes lignes correspondent  à ce que l'on savait déjà (puisque j'ai pu reconstituer l'édifice sans cette image) et puisqu'il s'avère que tous les détails architecturaux sont purement conventionnels et systématiques, j'en conclus que cette vignette n'apporte rien de plus à notre connaissance du château. 

Le fait que cette image puisse être lue de deux façons a plus de conséquences pour l'histoire de l'art et la connaissance des liens de  Loyset Liédet avec ses clients que pour la reconstitution du château d'Alençon. 

(TC 30-10-05)
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     1) Isabelle de France arrive à Bristol
      2) assassinat d'Etienne Marcel à Paris
      3) Brest
      4) massacre à Meaux
      5) Moncontour
      6) siège d'Aubenton
      7) siège de Calais
      8) siège de Hennebont
      9) siège de Tournai
    10) siège de Wark

Autres miniature du manuscrit 2643

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